« Ce n’est pas l’étude de la technique qui importe, mais la technique de l’étude » (Liszt).
« C’est un des plus importants, peut-être même le plus important devoir du professeur que d’enseigner à l’élève la bonne manière d’étudier » (Leimer).
Les théoriciens modernes considèrent donc l’art d’étudier comme partie intégrante de la technique. Étudier, pour le pianiste, c’est « adapter les gestes au caractère de la composition » (Caland).
« composition » : on ne cherche plus à acquérir, par des exercices, une technique abstraite que l’on applique après coup aux compositions, mais on travaille la technique directement dans les morceaux ;
« gestes » : l’étude se fonde sur les mouvements en tant qu’unités complexes, et non plus sur des notes ;
pour « adapter » ses gestes au morceau, il faut procéder par expériences; on ne répète plus, on expérimente.
Des morceaux au lieu d’études
« La folie du passé, c’est d’avoir cru que l’on pouvait acquérir une technique musicale indépendamment de la pratique de la véritable musique » (Matthay).
Comme les grandes œuvres sont infiniment plus profondes et plus passionnantes que les plus belles études, « l’intérêt de l’élève demeurera continuellement en éveil. L’étude ne lui paraîtra jamais fastidieuse ou ardue » (Leimer).
Cette méthode présente un avantage psychologique : elle facilite la concentration.
Par fragments
« Les élèves passent trop de temps à jouer, et trop peu à étudier » (Paderewski).
« N’étudiez que de courts fragments…afin que les inégalités perçues par l’oreille puissent être immédiatement corrigées » (Leimer).
Notons, au passage, qu’il est conseillé de ne pas s’arrêter sur sa dernière note, mais sur la première du fragment suivant, pour les enchaîner sans heurt.
Par éléments
« Tout pianiste sérieux doit analyser chaque difficulté, en en cherchant la cause et en démontant chaque trait, comme on démonte un mécanisme pour ensuite remonter le passage entier » (Casella).
« La loi essentielle de cette méthode est de travailler, non pas le passage difficile, mais la difficulté contenue dans ce passage, en lui restituant son caractère élémentaire » (Cortot).
Des gestes au lieu de notes « Il ne s’agit plus d’étudier des morceaux, mais des gestes » (E.Bach).
Techniques pianistiques
A tempo
En 1717, Couperin avait écrit : « On fera attention que les tremblements, pincés, ports-de-voix, batteries, et passages, doivent d’abord être pratiqués très lentement ».
A l’encontre de cette idée généralement acceptée pendant 200 ans, un théoricien moderne affirme : « Je vous déconseille de travailler lentement » (Kreutzer).
Un autre précise la raison : travailler trop lentement « fausse notre technique car nous automatisons des mouvements tout à fait différents de ceux dont nous avons besoin en réalité » (Gat).
« Le ralentissement du tempo change la structure mécanique du mouvement » (Ortmann).
Busoni « divisait d’abord les passages en incises qu’il travaillait de la façon suivante : après quelques répétitions très lentes, il procédait deux ou trois fois de suite brusquement à leur exécution ultra-rapide en traits fulgurants…ensuite il réunissait les fragments » (Roës).
Techniques pianistiques
Con expressione
La conception du geste comme unité physiologique indivisible exige non seulement qu’on joue un passage a tempo, mais qu’on respecte toutes les autres qualités : un rubato, un crescendo, un accent… Bref, toute son expression.
Écarter toutes les nuances en faveur d’un mezzoforte éternel et d’un non moins éternel moderato mène à une « méconnaissance parfois grotesque des degrés de difficulté » (Leimer).
Toute étude qui se prive de l’expression se condamne à demeurer inadéquate et insuffisante.
Techniques pianistiques
Des expériences au lieu de répétitions
Pour trouver parmi toutes les possibilités la meilleure, le mouvement qui rende le plus fidèlement la représentation intérieure et qui corresponde le mieux au talents individuels du pianiste, il n’y a qu’un moyen : les appliquer toutes, les comparer et faire son choix.
Étudier, c’est expérimenter, c’est « chercher le mouvement le plus simple » (Gat).
« Toute répétition d’un trait doit être en même temps une amélioration » (Schubert).
Deux moyens de contrôle guident l’attention :
l’ouïe qui permet de vérifier si le passage correspond bien à ce qu’on a imaginé ;
la sensation qui permet de se rendre compte si le mouvement est aisé ou non.
Techniques pianistiques
S’écouter
« La règle par excellence, la règle unique… tient en ces deux mots : écoutez-vous » (Morpain).
« En s’écoutant ainsi soi-même, l’élève ne tardera pas à reconnaître les continuelles possibilités d’amélioration qui lui sembleront toujours intéressantes à exploiter » (Leimer).
Techniques pianistiques
L’aisance
L’idéal est d’avoir pour ainsi dire un sentiment de confort.
« Pour être sûr, élégant et aisé, un mouvement ne doit utiliser que le strict nécessaire de force musculaire.
Dans ces conditions, il donne lieu à moins de fatigue et améliore sa qualité esthétique » (Steinhausen).
« S’il est joli à voir, c’est qu’il est correct » (Caland).
Techniques pianistiques
Réadapter
Point n’est besoin de faire mille essais pour trouver le mouvement convenable.
« Ne pas s’obstiner sur les passages difficiles » (E.Bach) parce que « les erreurs, aussi bien que les bonnes choses s’incrustent dans l’esprit grâce à la répétition » (Schubert). »
Il ne s’agit jamais de vaincre les difficultés, mais de les éviter » (E.Bach).
La sagesse consiste donc à « arrêter de jouer et à reconsidérer » (Bonpensiere) la difficulté, essayer un autre geste…recommencer à zéro.
Busoni préconisait de « ne jamais laisser un passage défectueux sans le recommencer pour le rectifier ».
Techniques pianistiques
Automatiser
Après avoir cherché et trouvé le mouvement le plus convenable pour rendre un passage, il faut encore « automatiser le geste choisi » (Schubert).
« Une fois par hasard ne suffit pas » (Morpain). Peu agréable et encore moins flatteur, le procédé d’automatisation nous fait économiser un temps précieux par la suite, elle incruste les mouvements à tout jamais dans notre mémoire.
« Jamais on ne devrait avoir à recommencer l’étude d’une œuvre déjà perfectionnée auparavant » (Gieseking).
Extrait de « Techniques pianistiques – L’évolution de la technique pianistique au éditions Leduc. Gerd Kaemper